Textes :
- Harmonie Universelle -
"Emmanuelle Lauer s’interroge : est-ce que son travail est si souvent perçu comme relevant de l’intime parce qu’elle est une femme ? Si certaines œuvres prennent comme point d’appui le corps – féminin – c’est pourtant davantage pour évoquer des thèmes universels, peut-être même s’adresser au plus grand nombre. C’est dans ce corps féminin qu’éclot la vie. De même, c’est par les fruits des plantes que se produisent puis se disséminent leurs graines. C’est à ce niveau que se situent les sujets des œuvres.
Ainsi, quand elle photographie son corps et son ventre rond, mis en scène dans un abécédaire et en exergue avec le thème de la guerre, ce n’est pas sa propre intimité mais c’est plutôt l’humanité tout entière que l’artiste interroge. Son propre corps est, au même titre que les plantes qui poussent dans son jardin ou la lumière qui traverse son atelier, une matière première pour évoquer les grandes thématiques qui lui sont chères : le féminin et l’humanité, la nature tout entière. Et ces éléments mis en relation participent d’un tout, sans échelle de valeur.
Cette absence de hiérarchie se reflète dans la forme : Emmanuelle Lauer produit des images évocatrices d’idées, de pensées. Pour ce faire, elle expérimente diverses techniques, de la photographie à la gravure à l’eau forte, en passant par le textile, la création numérique ou le dessin. Les créations sont ensuite agencées au sein d’installations où se répercutent les intentions, où se génèrent des sensations. Souvent, l’artiste dessine avec les mots et écrit avec les images. Les techniques et les manières de dire s’entremêlent. Les formes peuvent être tout autant mystérieuses qu’évocatrices : Emmanuelle Lauer travaille avec les symboles, cherchant la forme qui saura s’affranchir des frontières spatio-temporelles, embrasser l’Histoire et s’inscrire dans le temps long de l’humanité."
Lætitia Toulout, lauréate de la première édition du programme Chroniques.
Un partenariat entre l'AICA, la Revue Laura et devenir·art.
- Décorps -
"Le motif, thème incontournable dans le monde du textile, est amené par la reflexion de l'artiste, qui utilise l'être humain comme moyen décoratif, elle sort des bouts de corps, comme d'un catalogue, et les banalise, puisqu'un oeil arraché à son orbite devient un pois qui rythme à l'infini tissus imprimés et papiers peints. Un morceau de poumon prend des allures de fleur étrange que l'artiste décline et vous propose en rideau, en abt-jour ou encore en nappe. C'est un jeu de recouvrement de surface, avec de la matière intime par les motifs et dans son utilité."
Yves Sabourin, inspecteur de la création artistique au ministère de la Culture et de la Communication, préface, catalogue "Fil de trois".
"Décorps est un travail sur le corps, le décoratif, le textile, le populaire lié au tissu imprimé. Il s'agit d'utiliser l'imagerie traditionnelle et d'en donner une lecture contemporaine. A la place des habituels motifs floraux, vous découvrez des coeurs, des poumons, des yeux, des langues ou encore des os de bassin. A chaque fois, l'ambiguïté survient avec le motif floral survient.
Cette recherche autour du motif, du décoratif et des fleurs, envahissantes parfois, explore une thématique hautement féminine à la connatation souvent négative, qui réduit l'idéal artistique féminin au simple décor, au seul joli, lui déniant tout sens ou symbolisme. Fleurs, feuillages, plumes,oiseaux, autant d'éléments que s'est appropriée la féminité pour dire son rapport à la nature, sa sensibilité à son cycle, son rythme, sa (pro)création, son caractère nourricier.
Les détails anatomiques imprimés sur le tissu de décorps évoquent, quant à eux, le corps, son intimité, la vie qu'il peut donner jusqu'à la souffrance et la mort qui peuvent advenir."
Arts hebdo Médias
, spécial textile, octobre 2012.
Dossier en ligne : https://www.artshebdomedias.com/article/120313-dossier-le-textile-matiere-art/
- 336-9-1 -
" 336-9-1, série photographique juxtaposant des portraits en pied et la vue d'un jardin clos. Ce portrait assis est un nu féminin anonyme photographié aux différents stades de la grossesse. la végétation évolue simultanément. Le visage se trouve à côté d'un cadre vide accroché au mur, futur portrait de l'enfant à naître.
Le point de vue reste radicalement le même avec une lumière semblant venir du jardin attenant. Ce montage photographique entre intérieur et extérieur rappelle certaines peintures hollandaises de XVIIè représentant des femmes sur le seuil entre la cour et l'intérieur de la maison.
Son titre composé d'une numération laisse penser que la série peut être illimitée, les instants déclinés à l'infini. La différence d'exposition à la lumière, la répétition de certains cadrages et la juxtaposition des photographies évoquent les sérigraphies d'Andy warhol. Le paysage florissant et ce symbole de la fécondité suggèrent l'étroit parallèle qu'il existe entre l'homme et la nature? Cette symbiose entre notre animalité et la Nature dont nous sommes partie intégrante nous rappelle le respect que nous lui devons pour les générations futures."
Catalogue, Lâchés dans la nature, Viry-Chatillon.
- Mes Mains Mots -
"Dans Mes Mains Mots, de gros plans de paumes de la main insérés dans le dessin de cartes à jouer offrent des zones réactives. Le jeu ne présente pas spécialement de règles à but précis, mais invite à la participation de joueur potentiel et adversaire virtuel, dont les pertes et gains sont aléatoires.
Il suffit de cliquer sur les cartes, les unes après les autres, de lire le message manuscrit, sorte de pense-bête rappelant des attitudes à adopter, des expressions-type, des émotions ou encore des invitations telles que caresser sa main, oser dire, cacher ses angoisses... Pour le premier exemple cité, le pointeur habituellement représenté par une flèche, est remplacé par une main. ce pointeur activé par l'utilisateur de la souris révèle d'autres messages suggestifs en faisant courir la main sur la photographie : encore, ta peau/ma peau, pas touche, délicieux, et puis quoi encore?
Grâce à cette proposition de l'écran, d'une activité de dialogue entre l'utilisateur d'un système informatique et la machine, l'artiste nous plonge dans l'univers de l'interactivité. Cette animation interactive révèle les enjeux de la réalité virtuelle : comment les images de synthèse tridimensionnelles produisent-elles un système de simulation interactive? Comment peut-on prendre une ceratine distance critique vis-à-vis de l'image qui singe la réalité? Qui simule la réalité?"
Catalogue, Mon Oeil, Viry-Chatillon.
- Lumières post-cathodiques -
"E. Lauer nous donne à voir des animations numériques à travers lesquelles l'élément lumière de l'ordinateur est rapproché de l'élément lumière utilisé par les artistes dans les vitraux. le projet consiste justement à mettre en lumière la puissance visuelle de l'écran grâce au parallèle avec le vitrail. comme l'écran, le vitrail n'existe que lorsque la lumière les touche; de même les vitraux varient dans leurs couleurs et leurs formes en fonction de la lumière, comme le fait une animation numérique."
Catalogue, Mon Oeil, Viry-Chatillon.
- Vertige -
"Sur les murs du temple, des lianes noires aux airs de tentacules circulent et se développent en fonction de son architecture, de ses ouvertures et de ses arcs; elles convergent vers une forme ronde et colorée, une pression, un étouffement, tandis que des pics blessants assaillent le cœur du dessin. La couleur puissante des cœurs apporte l'espoir, le combat n'est pas perdu d'avance! Les paroles de la bande son accompagnent le visiteur dans sa déambulation, le projette dans ses propres combats. L'artiste plasticienne Emmanuelle Lauer réalise des œuvres associant des techniques mixtes qui prennent la forme d'installations lumineuses, d'animations numériques, de gravures à l'eau forte, de photographies, de dessins, de volume.
L'installation murale et sonore Vertige donne à voir et à entendre sa vision d'un monde violant, violence entre les hommes, dans le travail, où tristesse et dureté trouvent leur chemin, s’immiscent dans les interstices de nos vies comme dans celles de la pierre; par un geste maîtrisé, la couleur coule sur le papier/mur, calligraphie le récit de notre monde contemporain, de la dualité de l'être et du verbe, quête incessante de l'équilibre des forces dans une fresque elliptique.
La bande son diffuse des extraits de textes contemporains choisis tant pour leur qualité littéraire que pour leur sens : «Que la parole, ce bref voyage verbal du dedans au dehors, puisse être aussi atrocement pénible dans certaines circonstances, cela me fascine».Siri Hustvedt "Un été sans les hommes" L'artiste a choisi de lire elle-même, la douceur de sa voix s'oppose à la violence du sens des mots mais n'en contredit pas pour autant leur véracité tandis que les battements de cœur ponctuent l'espace et les intertices du verbe.
«Vertige», c'est aussi le lien puissant et indéfectible de la parole au cœur."
Dominique Delomez, ARTterritoire, Normandie.